Brute Force (ldt series) #1-4 (1990) Marvel
Les Bœufs après la charrue
Réalisée en 1989, Brute Force est une série limitée à la genèse originale. Après avoir produit des adaptations de ligne de jouets et de dessins animés comme GI Joe, Transformers ou les Masters of the Universe, Marvel tente la démarche inverse : créer un comics dont elle détiendra les droits pour que des jouets soient produits à partir des personnages.
Ce procédé a déjà été utilisé pour la série Crystar. A la différence près que la série était sortie après qu’une société ait effectivement acheté les droits pour produire des figurines.
Les personnages sont conçus par Charles Viola, un designer de jouets qui avait travaillé pour Marvel pour la série Heathcliff et pour d’autres titres chez Harvey.
Brute Force tente une synthèse des franchises à succès comme les Transformers et les Teen-Age Mutants Ninja Turtles. La série se positionne sur la protection de l’environnement qui commence à avoir le vent en poupe à l’époque. Pour autant, elle précède des licences à succès comme Captain Planet. Le dessinateur de la série, Jose Delbo, travaillera d’ailleurs sur l’adaptation comics de Captain Planet chez Marvel.
Brute Force #1 – Déforestation rapide
Un gang de clowns armés fait irruption dans un des laboratoires du groupe Multicorps dirigé par le Dr Randall Pierce.
Le docteur achève à peine une opération sur un gorille visant à augmenter à la fois son intelligence et sa force en le transformant en cyborg. Les clowns s’emparent de l’animal sans faire de blessés.
Pendant ce temps, le PDG de Multicorps, Mr Frost, remet publiquement un chèque à l’association de défense de l’environnement « Fresh Air ». Quand Pierce l’informe de la situation, il refuse d’appeler la police se voyant mal expliquer qu’un gang de clowns a enlevé un gorille cybernétique dans ses installations.^^
De retour à son labo, Pierce fulmine quand il apprend aux informations qu’un commando armé aurait fait fuir les habitants de la forêt amazonienne qui s’opposaient à l’implantation d’élevages de bétail par le groupe Flex.
A peine passée cette information, son fils vient lui rendre visite un hamburger à la main. Pierce s’aperçoit que le clown mascotte des Tastee Burgers ressemble comme deux gouttes de coca à ses agresseurs. Et Tastee Burgers fait partie du groupe Flex !
Pierce refuse que son travail serve à détruire l’environnement.
Il équipe les autres pensionnaires blessés de son laboratoire et compose un groupe de cyber-animaux capables de s’opposer à son gorille et à Tastee Burgers : BRUTE FORCE : Wreckless, Hip Hop, Surfstreak, Soar (initialement Slipstream mais l’aigle s’est rebaptisé Soar ^^), & Lionheart.
Une fois arrivés en Amazonie, et malgré d’importantes difficultés pour s’entendre, les super-animaux parviennent à repousser les troupes de Tastee et Uproar le gorille.
Randall reconnaît l’uniforme des mercenaires : il s’agit d’un modèle unique conçu pour Multicorps.
Pendant ce temps, la résistance s’organise, Frost, à la tête de ce plan, a lui aussi créé un groupe d’animaux améliorés : HEAVY METAL : Tailgunner, Armory, Ramrod, & Bloodbath.
Et pendant ce temps là dans la vraie vie. ^^
Plus vieil écosystème existant, la forêt Amazonienne a commencé à être exploitée à grande échelle dans les années 60. Exploitation minière, barrage hydroélectrique, commerce du bois, agriculture et élevage sont les causes principales de la disparition de cette forêt vierge. Paradoxalement les sols de la luxuriante Amazonie sont assez pauvres et ne se prêtent pas à l’agriculture au delà de 3 ans, ce qui pousse à défricher d’autres parcelles.
L’élevage de bovins serait responsable à lui seul de prés 40% de la déforestation entre les 60 et 70′s. Derrière ces chiffres, ce sont des populations expulsées de force, des zones entières défrichées au défoliant dérivé de l’agent orange, des émissions de méthane, une déforestation supplémentaire induite pour la production du soja nécessaire à l’alimentation du bétail et un impact significatif sur le réchauffement climatique
Dans les années 80′s, Mc Donalds se retrouva ainsi dans une tourmente médiatique car la viande de ses hamburgers provenaient de ces élevages amazoniens.
Ce que ce premier épisode de Brute Force dénonce sans prendre de pincettes.
Ce problème d’image fut en partie contourné par les compagnies de restauration rapide en rapatriant progressivement les élevages dans les pays d’implantation des restaurants tout en les nourrissant avec du soja (souvent transgénique) provenant … des territoires d’ex-forêts amazoniennes.
En 2012, 13% de la forêt amazonienne a été rayée de la carte. Au rythme actuel des déforestations, on estime qu’elle aura perdu 40 % de sa surface d’ici à 2030.
Brute Force #2 – Oil Sick
Pierce a du mal à canaliser les instincts et caractères de ses cyber-animaux.
Soar obéit péniblement quand il s’agit de boucher la cheminée d’une usine polluante, Wreckless aspire à être avec les siens et Lionheart répond à son instinct de chasseur.
Hip-Hop est envoyé en mission pour repérer des décharges sauvages dont l’association Clean Air se chargera ultérieurement.
Justement Pierce reçoit un appel de Fresh Air pour le prévenir qu’un pétrolier est attaqué par Heavy Metal dans le Golfe de Mexico. Il y envoie Surfstreak en éclaireur.
“May I be so bold as to ask why the FBI is interested in the bio-enhancement of animals ? – Don’t tell me BUSH has got, you boys, going green !”
Le dauphin parvient à tenir l’équipe en échec mais Heavy Metal choisit un nouveau tanker comme cible. Frost cherche à discréditer un concurrent en ternissant son image avec une marée noire.
Pendant ce temps, Randall se rend à Multicorps pour trouver des réponses à ses questions. Les clowns de Flex, les uniformes et maintenant une autre équipe d’animaux cyborgs. Il comprend vite que Frost est derrière ces agissements. Mais ce qu’il ne sait pas c’est que Frost l’a dénoncé auprès du FBI en faisant passer, lui et son équipe, pour de dangereux terroristes.
Randall et Brute Force se rendent sur le ponton du second tanker et mettent Heavy Metal en fuite.
Leur victoire est de courte durée car Randall se fait arrêter par le FBI.
Et pendant ce temps-là dans le mode réel
Brute Force #2 dresse un inventaire à la Prévert des atteintes à l’environnement : pollution de l’air par les usines, décharges sauvages, rejets de polluants divers dans le Mississippi (qui effectivement subissaient des rejets depuis des décennies) et marées noires.
Le presquaccident du pétrolier renvoie au naufrage de l’Exxon Valdez et à la gigantesque marée qui s’en suivie en mars 1989.
Pour l’anecdote, le Golfe du Mexique, où se situe l’action, sera confronté à une marée provoquée par le pétrolier Norvegien Mega Borg le 8 juin 1990 soit un mois avant la parution de Brute Force #2
Brute Force #3 – Mon usine au Canada
Randall en prison, Brute Force trouve refuge au siège de « Fresh Air ».
Bien que certains membres aient des scrupules à utiliser des animaux dont on a artificiellement augmenté l’intelligence, Fresh Air envoie Brute Force au Canada pour enquêter sur les activités de Marc De Mal.
Marc de Mal est un businessman dont l’usine dépasse tous les taux de pollution connus. Il a invité Fresh Air à inviter ses installations.
Sur place, De Mal leur présente son projet de « Polluo-sphère », un dôme où il créé des plantes et des animaux capables de résister à la pollution industrielle.
Mais rapidement, les deux invités sont faits prisonniers.
De Mal veut faire d’eux ses premiers cobayes humains. Et parallèlement, il prépare le lancement d’une fusée qui empoisonnera l’ensemble de la planète pour préparer sa nouvelle ère de vie résistante à la pollution.
L’intervention de Brute Force met fin au projet de De Mal. Le monstre de son arche. L’ensemble du complexe explose, détruisant avec lui la fusée.
Le coin du Marvel Zombie :
On peut rapprocher le plan de Marc De Mal du Projet Sulfure (création de Steve Gerber) auquel participa Ted Sallis (le futur Man-Thing). Ce projet avait pour but de créer un sérum capable de faire muter des êtres humains pour les rendre résistants à la pollution pour ne pas freiner l’activité économique. (Fear #16 – 1973 et Daredevil v1 # 113 – 1974)
En pendant ce temps sur la planète Terre
Évidemment aucun industriel canadien n’a projeté de faire de transformer toute vie sur Terre pour la rendre résistante à la pollution ^^.
Néanmoins on compte deux événements importants au Canada les mois précédents la sortie de Brute Force:
– Le 23 aout 1988 à St Basile-le-Grand non loin de Montréal, un entrepôt contenant 75 000 litres de PCB (polychlorobiphényles) prend feu. Pendant que 3000 personnes sont évacuées, des fumées hautement toxiques s’échappent du brasier. L’eau et le sol resteront contaminés pendant 10 ans autour du site.
L’entrepôt appartient à une société à qui l’Etat Canadien a confié la destruction des PCB issus de ces anciens transformateurs électriques. La société s’est en fait contenter de les stocker dans des hangars quasi-abandonnés sans aucune surveillance ou protection comme celui de St Basile
Les suites judiciaires très médiatisées dureront plus de 6 mois. Le propriétaire de l’entreprise, Marc Levy s’échappe en Floride où il disparait.
(Doit-on y voir un lien avec le Marc De Mal du Comics ? – si on veut pousser un peu, Levy est un anagramme de Evyl ^^)
Cet événement est considéré comme la pire catastrophe écologique du pays jusqu’au déraillement d’un train transportant du pétrole brut en 2013 à Lac Megantic.
– Un an et demi plus tard, le 12 février 1990 le Canada est touché par un second choc écologique majeur : l’incendie d’une décharge de pneumatiques de 7 hectares à Hagersville. 10 millions de pneus y bruleront pendant 17 jours.
L’événement est suivi par toutes les télés du monde.
Nul doute qu’à l’époque, ces 2 catastrophes écologiques relayées par les médias ont marqué les esprits tant la pollution était visuellement impressionnante.
Brute Force #4 – Unclear Nuclear
Brute Force est maintenant une équipe reconnue qui lutte contre des écologistes plus radicaux.
Il neutralise un groupe écoterroristes appelé Meltdown qui menace de faire exploser la centrale nucléaire de Raleigh pour montrer au monde la dangerosité de cette technologie.
En fait ces terroristes sont à la solde d’Adam Frost qui voulait jetter l’opprobre sur le mouvement anti-nucléaire. Malheureusement pour Frost, Heavy Metal chargé de l’exfiltration des mercenaires ne parvient pas à tous les récupérer.
IRL ?
La centrale correspond au “Shearon Harris Nuclear Power Plant” proche de Raleigh en Caroline du Nord.
Démarrée en 1981, elle connue une vague d’opposition après la catastrophe de Tchernobyl en 1986. Elle ouvrit néanmoins en 1987 avec un seul réacteur. Depuis son ouverture, la centrale connait une série de problèmes techniques et d’incidents “mineurs”. Ceci explique que les 3 autres réacteurs prévus ne virent jamais le jour.
-Retour à Brute Force-
Si le mercenaire parle, il pourrait faire tomber l’empire de Multicorps.
Pendant ce temps, Randall est blanchi par le FBI qui a maintenant la preuve qu’il n’est pas un terroriste et qu’il existe bien 2 équipes de cyber-animaux.
Heavy Metal attaque le QG de Brute Force pour récupérer le mercenaire.
La bande d’animaux malfaisants échoue une fois de plus et Frost tombe à cause du témoignage de son agent.
Le début …. de la fin ?
En avance et entre deux chaises ?
Comme le dit le scénariste Simon Furman dans une interview au site 80 Page Giant, Brute Force est une série qui a souffert d’un mauvais timing et d’une erreur de positionnement.
Mauvais timing car l’écologie n’était pas encore “ à la mode” à la sortie du titre. Il y avait un frémissement mais le mouvement ne décollera vraiment qu’à partir de 1991.
Mais Brute Force, c’est surtout la collision de préoccupations et de références visant plutôt des adolescents ou des jeunes adultes avec un habillage sensé séduire un public de moins de 10 ans.
Des attaques directes à Mc Donalds, une critique des consortiums industriels et du greenwashing, des références aux catastrophiques écologiques récentes, des piques à l’administration Bush et des questions morales sur l’expérimentation animale … Tout ça devait passer bien au dessus du public visé.
Et encore, à l’origine, Brute Force devait paraitre sous le Label STAR, regroupant les titres pour enfants de Marvel. Au final, le comics sortira directement par Marvel.
Les personnages et le ton du comics sont en grand décalage avec les messages que Furman tente de faire passer.
Et on se dit qu’un traitement à la “WE3″ serait sans doute un reboot intéressant pour cette équipe
Les héros de Brute Force disparaitront dans les limbes pendant 14 ans avant de faire un come-back inattendu.
Mais ça, on en parlera dans le prochain billet.
Sim Theury
2 réflexions sur “EcoloGeek#33 – C’est du brutal”